Suite au retour de Florence où avait lieu une compétition sur le premier assaut à l’épée à deux mains de Marozzo, j’ai pu m’apercevoir qu’il y avait parfois une confusion sur le sens de ce terme. On a souvent l’impression que les assauts des maitres italiens ne sont qu’une succession de coups sans vraiment de logique. Il y a même parfois confusion avec d’autres termes, on les décrit alors comme étant des embellissements, ou flourish, dans lesquels on réalise des mouvements dans le vide histoire de se donner un peu de prestance. Mais qu’en est-il vraiment ?
Essayons donc de définir ce terme d’assaut à partir des sources, en regardant ce que nous racontent les deux auteurs principaux les utilisant, à savoir Marozzo et Manciolino.
Un outil pédagogique
Marozzo, dont le traité est destiné à ses anciens élèves, rappelle cela quasiment avant chaque assaut. L’enseignement des armes passait donc forcément par l’apprentissage de ceux-ci. Nous ne sommes pas ici juste devant une liste d’actions ou de pièces dont le but serait de démontrer au lecteur la connaissance de l’art par le maitre.
« maintenant, nous commencerons ici le premier assaut de l’épée et de la petite bocle, lequel sera très beau et utile pour jouer et pour enseigner » Marozzo, Chapitre 10.
« nous composerons ici le troisième assaut qui démontrera l’art de la mi-épée et cela est fait parce que tu voudras enseigner » Marozzo, Chapitre 12.
« mais tu trouveras le second (assaut) ensuite qui montrera beaucoup de l’art de l’épée affûtée avec la targe en main ; avec ses gardes et avec ses noms, attaques et contres, et cela est fait pour que si tu veux enseigner à d’autres, tu puisses le faire. » Marozzo, Chapitre 124.
Comme on le voit dans cette dernière citation, les assauts servent à apprendre les gardes avec les attaques et les contres qui en découlent.
« donc dans les gardes hautes on est dans toutes les positions que je t’ai dites, et dans celles-ci on est soit avec le pied droit soit avec le gauche devant. Et les pieds ou jambes sont parfois de travers comme tu pourras voir ou apprendre dans les assauts qui sont ci-dessus. » Marozzo, Chapitre 169.
On apprend donc à former ces gardes correctement, mais aussi à réaliser les frappes et déplacements de manière gracieuse et élégante[1].
« joyeusement arrangé de ta personne et debout avec l’épée et la bocle en mains, de sorte que chaque mouvement, chaque façon et chaque geste soit pleins de grâce. » Manciolino, livre 2.
« il m’a paru diligent de vous donner les instructions de trois magistraux jeux ou assauts que vous désirez à l’épée et à la petite bocle. Et dans ceux-ci, autant l’élève est gracieux, autant la personne, les jambes et les mains se rendront plaisantes et rapides » Manciolino, Livre 2.
L’enseignement des frappes et de leurs noms a été réalisé pour sa part avant l’enseignement de l’assaut comme Marozzo nous le décrit :
« ainsi au début, tu lui feras comprendre ce qu’est un mandritto et un riverso, lui faisant tous les jours travailler contre ce diagramme. […] Donc tu lui feras d’abord pratiquer toutes les frappes vers l’avant et vers l’arrière, de manière à ce qu’ils puissent s’exercer à tirer les bottes. Et il les tirera longues et les bras tendus, pour qu’à la fin au moins ils sachent te dire les noms de chaque botte. Et quand il te paraîtra qu’ils sont capables de faire ces bottes, et de les nommer, alors tu commenceras le jeu qu’ils voudront apprendre. » Marozzo, chapitre 1.
Une fois que les élèves auront appris le jeu avec les assauts ou d’une autre manière, Marozzo fait passer un examen à ceux-ci. L’élève doit connaître toutes les gardes et être capable de réaliser toutes les attaques et parades à partir de ces gardes.
« et je te dis également que quand tu leur auras enseigné les bottes qu’il te plaira, c’est-à-dire, et au combat, et le retour en arrière, je veux que tu leur fasses pratiquer les choses que tu leur as enseignées durant quatre ou cinq jours avec toi. Et ensuite quand il saura bien faire les attaques et les parades et que tu lui auras enseigné, je veux que tu commences par l’examiner de garde en garde » Marozzo, chapitre 1
Mais malheureusement pour nous, ces assauts ne contiennent qu’une infime partie de l’art.
« tu sais que dans le troisième assaut et dans certaines autres occurrences, je t’ai montré les choses que tu peux faire en falso contre falso ; mais note pour règle véritable que je n’ai rien mis sinon que des choses bonnes et brèves et utiles pour tes élèves et sache que si j’avais voulu mettre toutes les choses, dix livres n’auraient pas suffi à cela » Marozzo, chapitre 24.
La structure des assauts
Les assauts ne sont pas qu’une suite d’actions désordonnées. Chez les deux auteurs, ceux-ci sont composés de trois parties :
– l’aller au jeu
– le jeu
– le retour du jeu
Il s’agit même d’une évidence pour Manciolino :
« il doit être évident à la lecture de ce premier assaut que chacun d’eux est divisé en trois parties. La première est la façon d’aller au jeu. La seconde est le jeu. La troisième est le retour du jeu. Et comme la seconde a les coups offensants, la première et la troisième ont les extravagances et les joies » Manciolino, Livre 2.
Le jeu ne pose pas ici de problème de compréhension, il s’agit de la phase où nous sommes proches de notre adversaire et où nous nous escrimons avec lui.
Pour l’aller et le retour, ils semblent consister en une démonstration de nos aptitudes et de notre élégance dans l’exécution de cet art. Les deux joueurs commençant dans un coin de la salle comme il est souvent précisé, ils ne vont pas se jeter l’un sur l’autre comme on peut souvent le voir dans les compétitions actuelles.
« mais avant de commencer à parler du propos, nous enseignerons à venir au jeu. Parce que les bons joueurs se font non seulement dans l’offense et la défense, mais aussi en donnant leurs coups avec une belle forme et souvent avec des mouvements de la personne entre-deux. » Manciolino, Livre 2.
Le retour au jeu permet lui de revenir au point de départ dans le coin de la salle avec tout autant d’élégance.
« Et ainsi ayant produit le jeu avec ton adversaire, tu feras un retour en arrière non moins beau que l’aller au jeu que tu as fait dans la première partie du présent assaut. » Manciolino, livre 2
Manciolino nous dit même au début du second assaut dans le second livre, qu’ils contiennent « les extravagances et les joies » de l’art.
Alors que Manciolino expose ces allers au jeu pour chacun des assauts ainsi que pour d’autres parties qui ne sont pas décrites comme étant des assauts. Marozzo, par souci de longueur du traité, se permet de les omettre à plusieurs reprises considérant que nous sommes en mesure de les retrouver vu qu’il nous les a déjà enseignés.
« et à présent je ne mets plus d’aller au jeu, parce qu’il serait trop volumineux de toujours les décrire; mais tu iras au jeu avec un de ceux que tu as appris de moi » Marozzo, chapitre 11.
Enfin, dans ces assauts, nous trouvons des embellissements. À l’épée-bocle, ceux-ci sont utilisés quasiment entre chaque pièce au jeu. À l’épée à deux mains, ils se font bien plus rares, il faut attendre la cinquième partie du premier assaut pour en avoir un.
Manciolino nous en propose un pour chaque assaut. Il nous le décrit en début d’assaut et nous indique par la suite quand l’exécuter.
« et cela fait, tu embelliras le jeu non pas d’une des deux façons que j’ai dites au-dessus, car il plaît que chaque assaut ait un embellissement séparé. » Manciolino, livre 2.
« et n’oublie pas lecteur cet embellissement du jeu, parce que dans plusieurs endroits du présent assaut je le réutiliserai sans le décrire à nouveau. » Manciolino, livre 2.
Alors que Marozzo, toujours certainement par soucis de longueur du traité, nous dit juste de réaliser un embellissement déjà appris.
« Et de là, tu embelliras le jeu de façon habituelle, c’est-à-dire, en montant, taillant et frappant la bocle » Marozzo, chapitre 10
Nous ne savons pas clairement quel est le but de ces embellissements au sein de l’assaut. Cependant, il pourrait simplement s’agir de faire se déplacer notre adversaire afin de pouvoir l’attaquer dans sa montée ou tombée en garde comme nous le décrit Marozzo pour l’épée à deux mains.
« ainsi quand tu recherches l’honneur, regarde à l’assaillir avec ses contres dans sa tombée ou alors dans sa montée en garde. Et si tu en trouves un qui n’est pas allé comme je t’ai dit, fais que tu embellisses le jeu de sorte qu’il vienne à se bouger. » Marozzo, chapitre 171.
Progression des assauts
Passons maintenant à la progression entre ces assauts. Nous en avons toujours trois que ce soit à l’épée-bocle ou à l’épée à deux mains et ceux pour les deux auteurs. L’épée-targe fait ici exception avec deux assauts, mais nous verrons pourquoi par la suite.
L’enchainement de ces 3 assauts se fonde sur la même progression à chaque fois :
- 1er assaut : jeu large
- 2eme assaut : jeu large & rapproché
- 3eme assaut : les estrettes
L’ordre de ces assauts correspond aussi à l’ordre d’enseignement voulu.
« donc tu as bien vu que les parties de ce premier assaut concernent le jeu large. Celles-ci sont une chose parfaite à donner au début à un élève qui veut apprendre celui-ci » Marozzo, Chapitre 162.
Nous commençons par le jeu large qui contient le jeu commun de l’art. Puis, si l’élève le mérite et surtout s’il nous paye[2], nous lui enseignons le second et le troisième assaut, car un joueur n’est parfait que s’il connaît le jeu de la mi-épée.
« ainsi je t’encourage à donner ces choses aux hommes qui ont un bon cœur, parce qu’ils le feront sans autres considérations et ils seront ceux qui te feront honneur, mais pour ceux qui te paraissent ne pas avoir autant de cœur, donne-leur ces choses du premier assaut, parce qu’il serait du gâchis de leur donner du deuxième et du troisième, car ils n’auront assez de courage pour les faire, donc note pour toujours. » Marozzo, Chapitre 12.
En ce qui concerne l’épée-targe, nous n’avons pas de troisième assaut, qui contiendrait alors les estrettes, car cela serait en grande majorité une répétition de celui à l’épée-bocle :
« mais ne considère pas que ces estrettes, ou coups, ne soient faits qu’avec la petite bocle, ainsi ils peuvent aussi se faire avec l’épée seule comme j’ai dit ci-dessus, à l’épée à deux mains et à l’épée et targe et large bocle, et encore à l’épée et rondache » Marozzo, chapitre 35.
J’espère que tout cela apporte plus de clarté sur le terme assaut. En utilisant les sources, nous sommes ainsi arrivées à définir le propos et le contenu de ceux-ci. Ils ont avant tout une vocation pédagogique. Ils ne consistent donc pas en un ensemble de techniques désordonnées ou même en de simples enchainements à réaliser dans vide pour la beauté de l’art.
Il ne nous reste donc plus qu’à les apprendre, bien les travailler, seul et en opposition, pour arriver à comprendre le système qui se cache derrière ceux-ci.
[1] Il s’agit d’une constante dans les deux traités et à l’époque. Pour plus d’info, voir « Les armes de Minerve » de Frédérique VERRIER.
[2] Car comme l’écrit Marozzo au chapitre 13 « qui paye bien apprends bien et qui paye mal apprends mal ».
Merci pour cet article. 😉
Merci pour ces éclaircissements forts utiles.