Nous avons avec le dernier article que l’estoc était la frappe favorite de Di Grassi, son escrime comporte néanmoins des coups de taille, ceux-ci ne sont pas totalement exclus, au contraire. Nous allons voir quand et comment utiliser ceux-ci.
Quand frapper de taille
De l’offense depuis la garde haute à l’épée seule
[…]
Mais pour tirer ce coup de taille en haut ou en bas, l’on ne peut pas si peu tourner la pointe de l’épée sans l’éloigner de la ligne droite de la longueur d’une épée, et en faisant cela on donne le temps à l’ennemi de frapper avant qu’elle ne revienne.
Voilà pour rappel, la raison principale qui fait préférer l’estoc à la taille chez Di Grassi est que le coup de taille prend bien plus de temps qu’un coup d’estoc, ce dernier ne nécessite aucun armement contrairement au premier. Rajoutons à cela la relative inefficacité des coups de taille selon l’auteur :
De la façon de frapper
[…]
Ajoutons comme raison que peu sont les coups de taille qui tuent bien que grands, alors que les estocs, bien que petits, quand ils entrent dans un corps de trois doigts, sont la plupart du temps mortels.
Cependant, il advient certaines situations ou la taille est envisageable, voir même préférable à l’estoc, Di Grassi décrit cela avec une démonstration géométrique dans le chapitre « De quand il est mieux de frapper de taille » dont je donne la traduction à la fin de l’article.
Pour résumer, la frappe de taille sera préférée à l’estoc quand notre pointe ne sera pas dans la ligne droite vers l’adversaire, car alors il serait nécessaire de faire deux mouvements pour frapper d’estoc ce qui consommerait trop de temps.
Le second cas est quand l’adversaire bat notre lame de la main vers un côté, il faut alors utiliser la force qu’il nous donne et le frapper de taille.
Comment frapper de taille
De l’épée
[…]
Il doit être su que comme elle n’a pas plus que deux tranchants et une pointe, on ne peut pas frapper et se défendre avec autres choses que ceux-ci, aussi tous les coups de taille, droits comme revers forment soit un cercle soit une partie d’un cercle duquel la main est le centre et dont le rayon est longueur de l’épée et donc il est nécessaire de faire un grand tour si l’on veut frapper de taille.
Comme vu dans la partie précédente, le coup de taille nécessite un armement ce que Di Grassi décrit par « faire un tour ». La façon de réaliser ce tour est elle-même décrite :
La division de l’épée
[…]
Le bras n’a pas non plus la même force et rapidité dans toutes ces parties, et celles-ci se différencient ainsi à chacune de ses pliures qui sont la jointure de la main, le coude et l’épaule. Les coups du nœud de la main, c’est-à-dire de la jointure de la main, sont les plus rapides, mais ils manquent de force. Ceux des deux autres eux sont plus forts, mais plus lents parce qu’ils font un plus grand tour. Ainsi, par mon conseil, on ne doit pas faire de tour de l’épaule si l’on veut frapper de taille parce que l’on porte l’épée loin trop et que l’on donne un temps à un ennemi habile pour qu’il entre en premier. On utilisera donc seulement le tour du coude et du nœud de la main, ceux-ci outre qu’ils sont rapides sont également forts quand on tire.
L’armement du coup de taille se réalise soit avec le poignet, soit avec le coude, jamais avec l’épaule, car celui-ci prendrait bien trop de temps et aussi nous découvrirait beaucoup trop.
Dans la même partie, Di Grassi nous explique avec quelle partie de l’épée frapper :
La division de l’épée
[…]
J’ai dit auparavant que dans la frappe l’épée forme un cercle ou une partie d’un cercle dont la main est le centre. L’épée est similaire à une roue dans les frappes et il est évident qu’une roue qui tourne a plus de force et de vitesse à sa circonférence qu’à son centre. Il m’a paru de diviser l’épée en quatre parties égales desquelles celle la plus proche de la main, comme plus proche de la cause s’appellera première, la suivante seconde, puis troisième et enfin la quatrième partie qui contient la pointe. Nous utiliserons ces troisième et quatrième parties pour frapper parce qu’elles sont les plus proches de la circonférence et sont donc les plus rapides. Et dans la quatrième, l’épée sera plus rapide et plus forte que partout ailleurs non pas à la pointe, mais quatre doigts plus à l’intérieur. Parce qu’outre le fait d’être dans la circonférence là où il y a une plus grande vitesse, il y a également quatre doigts de fer en contrepoids qui donnent une plus grande fureur.
Il est donc nécessaire de frapper avec le faible de l’épée, mais à quatre doigts de la pointe, soit 8 à 10 cm avant celle-ci.
On ajoute à cette frappe le déplacement nécessaire comme vu pour l’estoc avec la partie « La convenance des pieds et de la main ». Dans les exemples donnés plus tard, ce déplacement n’est pas forcément un pas entier, il peut simplement être un demi-pas circulaire arrière.
Enfin, à la fin de la taille, nous devons rajouter un mouvement d’entaille avec d’accentuer les dégâts de celle-ci :
De l’offense depuis la garde haute à l’épée seule
[…]
Le revers tiré, touchant ou non, on doit aussitôt ramener un peu l’épée ce qui vient à être utile de par le fait qu’ayant frappé avec le revers, ce ramené entaille et fait une grande blessure. Ainsi il doit être su que l’on devra tirer tous les coups de taille de sorte qu’ils entailleront parce qu’ils font peut de dommage directement.
En pratique
Si l’on applique tous ces conseils, à considérer que nous taillons dans le bon temps, nous devons en pratique commencer par armer la frappe, ce qui nécessite d’une de monter la main d’épée la plus part du temps, de deux de réaliser un mouvement de poignet ou du coude pour donner de la vitesse à l’épée. Plus l’armement sera important, plus l’épée aura le temps d’accélérer, plus la frappe causera de dégâts.
À cela se rajoute un déplacement, la frappe étant accompagnée du pied du côté d’où démarre celle-ci, le maindroit est donc accompagné du pied droit, le revers du pied gauche. Si la jambe opposée est devant, le déplacement sera simplement un pas droit ou un pas oblique. Dans le cas contraire, il faudra réaliser un demi-pas circulaire du pied arrière pour accompagner la frappe d’un mouvement des hanches. Cela est très bien expliqué dans un enchainement de frappes depuis la garde haute.
De l’offense depuis la garde haute à l’épée seule
[…]
Si l’on se retrouve, avoir poussé l’estoc depuis la garde haute sans offenser, pour rester couvert de l’épée ennemie, on doit aussitôt tourner le maindroit du poignet à travers la tête en tournant un peu le pied arrière dans la partie droite pour allonger le plus cette taille, laquelle de par sa nature est le plus longue de tous les coups.
Si l’ennemi se couvre de cela, ce qui est assez difficile, on doit tourner aussitôt le revers du coude en avançant le pied arrière d’un pas oblique. Et je dois avertir que pratiquement toujours quand l’on tire du revers que l’on doit utiliser ce pas oblique pour sortir de la ligne droite dans laquelle l’on peut facilement être frappé en tirant ce revers.
La frappe doit toucher à environ 8cm de la pointe, on élimine ainsi du jeu toutes les « éraflures » ainsi que les frappes avec le fort de la lame qui sont considérées trop faibles pour être dangereuses.
Enfin, quand la frappe a touchée, il faut continuer le mouvement en réalisant une “entaille” en ramenant l’épée vers nous, ce qui nous permet de facilement enchainer sur une autre frappe pour continuer à attaquer ou repartir en se couvrant par exemple.
L’utilisation de la taille est très limitée dans l’Art véritable de Di Grassi, son utilisation demande une bonne connaissance des « avantages » ainsi qu’une bonne pratique pour générer la puissance nécessaire. On trouve cependant quelques exemples d’enchainements d’estoc et de taille comme dans la garde haute. Enfin, ces coups de taille seront surtout utilisés dans l’Art de tromperies, lequel est simplement la pratique ludique de l’époque pour Di Grassi dans laquelle on peut se permettre de ne pas tenir compte des temps..
Annexe
De quand il est mieux de frapper de taille
La taille n’est préférée à l’estoc pour aucune autre cause que pour le temps, la brièveté de celui-ci par-dessus toute autre chose dans cet art doit être mise en avant si on laisse l’estoc et la taille de côté. On doit donner pour ultime et principal conseil que le coup qui sera tenu pour être le meilleur est celui qui consommera le moins de temps. Il advient ainsi que la taille doit être préférée à l’estoc et nous parlerons de quand cela arrive.
J’ai dit quand je parlai des frappes d’estoc que l’on devait frapper de celui-ci quand la pointe est dans la ligne droite parce qu’alors on peut frapper dans un temps. Et comme la taille est différente de l’estoc, en n’étant pas dans la ligne droite, on la donne tout de même. Ainsi, quand il advient que la pointe de l’épée soit à droite ou à gauche ou en haut, de telle sorte qu’elle soit à l’extérieur de la ligne droite, si l’on veut alors aller frapper d’estoc, on ne peut pas le faire sinon qu’en deux temps, alors que frapper d’une taille droite ou reverse ou vers le bas se fait dans un temps.
On trouve également plus commode de frapper de taille chaque fois où l’on a l’épée dans la ligne droite et que l’ennemi la trouve avec la main et la bat d’un côté ou de l’autre. Dans ce cas, si l’on veut retourner dans la ligne droite pour frapper, on se fait une grande violence et l’on perd beaucoup de temps. Il sera donc bien meilleur et plus rapide de laisser aller l’épée vers le côté où l’ennemi l’a battu et de l’atteindre en faisant un cercle pour le frapper de taille et ajoutant toute la furie que l’on peut à ce mouvement. Ce coup étant tellement rapide et fort que l’ennemi trouve difficilement le temps de se couvrir, car il est déjà occupé à battre l’épée et à vouloir ensuite frapper en n’espérant pas que l’épée ennemie vienne rapidement de taille vers ce côté.
Intéressant, c’est globalement cohérent avec les (rares) conseils sur les techniques de coupe qu’on trouve dans d’autres sources. J’avais fait un petit recensement ici : http://blog.subcaelo.net/ensis/cutting-mechanics-hints-sources/
Une originalité est qu’il décrit explicitement l’entaille après la coupe, alors que dans mes autres sources je voyais plutôt les deux actions confondues.
C’est aussi instructif de voir sa description de la meilleure partie de la lame pour couper. C’est un sujet de réflexion qui n’a jamais été totalement réglé. L’argument de vitesse ne suffit pas, car la masse impliquée dans l’impact varie également suivant le point de la lame considéré.
Merci Vincent de me rappeler ton article, intéressant de retrouver ces même conseils dans d’autres sources et dans les illustrations.
Pour l’entaille, je ne suis pas certain que cela se fasse en deux mouvements, le texte n’est pas très explicite mais je verrais plus le ramener de la main dans la continuité du mouvement de taille sans marquer de temps d’arrêt