L’estoc chez Di Grassi

Cet article a pour but d’introduire la frappe préférée de Di Grassi : l’estoc. Nous allons d’abord regarder les raisons de ce choix, puis détailler la façon canonique de réaliser celui-ci.

Pourquoi frapper d’estoc

Di Grassi nous répète plusieurs fois les raisons pour lesquelles il opte de préférence pour l’estoc :

De la façon de frapper

Sans aucun doute, l’estoc doit être préféré à la taille, parce qu’il frappe avec moins de temps, et aussi parce qu’il fait plus de dégât en frappant en moins de temps. C’est pour cela que les Romains qui furent victorieux dans toutes leurs entreprises faisaient utiliser par leurs soldats seulement les frappes d’estoc. Ajoutons comme raison que peu sont les coups de taille qui tuent bien que grands, alors que les estocs, bien que petits, quand ils entrent dans un corps de trois doigts, sont la plupart du temps mortels

De l’épée

[…]

Ou bien pour estoquer, je dis qu’il est nécessaire d’être rapide des mains et de connaitre le temps avantageux, ce qui consiste à savoir quand sa propre épée est plus proche pour frapper que celle de l’ennemi. Parce que si l’ennemi tourne son épée d’un bras pour frapper, se retrouvant dans ce cas loin d’un demi-bras, on ne doit pas chercher à se défendre, mais à frapper, parce qu’en l’atteignant avant on arrêtera la chute de l’épée ennemie.

L’estoc est donc une frappe plus rapide et plus puissante qu’un coup de taille. De ce constat, les différentes parties concernant les défenses dans chacune des gardes se concentreront donc sur la façon de contrer ces estocs principalement, quant aux offenses décrites, elles seront donc quasiment que d’estoc.

La méthode à suivre dans le traitement des chapitres suivants.

[…]

La règle donc que nous suivrons sera de donner pour chaque garde, ses offenses et défenses de l’estoc principalement, et ensuite de la taille au besoin.

Comment tirer un estoc

Avoir la main déjà préparée

Au contraire de la taille qui nécessite de « faire tourner » l’épée, l’estoc est une frappe sans préparation à condition d’être bien positionné. Le temps de la frappe étant une obsession chez Di Grassi, il faut en perdre le moins possible.

De l’épée

[…]

Quant aux coups d’estoc très dangereux, on doit procéder de rester avec la vie, les pieds et les bras de tel sorte qu’il ne soit pas nécessaire de perdre un temps quand on veut frapper, chose qui arrive quand on reste avec le bras bien devant ou avec les pieds bien en arrière ou avec la vie désordonnée, et dans quels cas il sera nécessaire de retirer le bras ou de s’aider des pieds, ou de faire un mouvement de la vie avant de pousser l’estoc, ce qui laisserait la possibilité à l’ennemi de pouvoir frapper avant que l’on frappe. Mais si l’on est toujours dans la façon voulue, que l’on démontrera après, et que l’on constate qu’il y a moins de distance depuis notre pointe que depuis celle de l’ennemi, alors dans ce cas on doit pousser l’estoc avec une gaillarde rapidité avant que celui-ci ne le pousse.

De cette nécessité en résultent les positions de gardes qu’il utilise avec le bras d’arme retiré vers l’arrière.

La garde basse

Et si l’on veut frapper, l’on peut dans un seul temps pousser un grand estoc, ce qui n’advient pas quand on tient le bras devant, car dans ce cas on devra le retirer pour frapper ou bien frapper dans un temps très faible.

Cette façon de former la garde est assez différence de ce qui est fait chez Marozzo par exemple. Ce dernier précise d’ailleurs « Parce que s’il veut tirer une stoccata, il est nécessaire qu’il tire en premier le poing en arrière » au chapitre 120.

Gardes large et basse de Di Grassi contre Coda longa e stretta de Marozzo
Gardes large et basse de Di Grassi contre Coda longa e stretta de Marozzo

Frapper suivant la ligne droite

Dans son optique de démontrer tout son propos, Di Grassi dédit un chapitre complet pour expliquer comment un estoc frappe suivant une ligne droite. Je donne la traduction de ce chapitre assez long à la fin de l’article. En résumé, quand on frappe d’estoc il est nécessaire d’abaisser d’autant le poignet que l’on élève le bras, et inversement.

Accompagner l’estoc d’un déplacement

Pour encore plus de force dans la frappe, celle-ci doit être accompagnée d’un déplacement. Au contraire de la position de garde, cette fois-ci nous retrouvons une similarité avec l’école bolonaise qui préconise cela pour toutes les frappes « Enseigne-leur à accompagner la main avec le pied et le pied avec la main, autrement tu ne feras pas de bonnes choses. » Marozzo, chapitre 5

La convenance des pieds et de la main

La jambe droite doit toujours être la force de la main droite, et similairement la gauche pour la gauche. Donc chaque fois qu’il arrivera qu’on pousse un estoc, on veut qu’il soit accompagné de la jambe […]. Et on doit savoir que l’on augmente ou décroit naturellement d’autant le pas que la main.

Di Grassi nous décrit ensuite plus en détail le positionnement du pied arrière dans cette frappe : il faut le tourner vers l’arrière pour gagner le maximum d’allonge possible et être avec tout le corps dans la droite ligne. On peut comparer cette position à celle du plan vertical droit dans la Destreza. Ce mouvement fait aussi écho aux conseils de Dall’Agocchie dans ses parades de « bien tourner le corps derrière le côté droit » et que ce dernier ne décrit jamais.

Enfin, on ajoute un demi-pas du pied arrière pour bien finir de pousser l’estoc à travers l’adversaire.

De la façon de frapper

[…]

On aura donc pour règle ferme et immuable de frapper de la pointe chaque fois qu’on se trouve avec celle-ci vers l’ennemi afin d’être plus rapide et de faire de meilleurs coups. Pour pousser cette frappe d’estoc avec la plus grande furie possible, le plus d’avantage et le plus loin, je préviens que l’on doit toujours tourner le pied gauche vers la partie arrière de sorte que toujours le pied arrière aille en tournant pour être tout le temps dans la droite ligne de la main et de l’épée comme le diamètre d’un cercle, mis sur le contour du cercle. À la fin du coup, on retire le pied arrière d’un demi-pas en avant et de cette façon le coup vient à être plus long et plus fort. Et l’on oppose à l’ennemi que l’épaule et le flanc de façon à être loin pour qu’il ne puisse pas frapper parce qu’il n’est pas possible de faire une plus botte plus longue que celle-ci

En pratique

Nous avons ici toutes les caractéristiques de l’estoc chez Di Grassi : il ne demande aucun mouvement de préparation, il se fait suivant la ligne droite, sur un pas et en tournant le pied gauche vers l’arrière. On note au passage les différences et les similarités de style avec l’école bolonaise.

Ainsi, il faut partir d’une position de garde avec la main reculée au niveau du corps, comme on peut le voir sur les différentes illustrations. Le déplacement du pied droit accompagnant l’estoc peut être un pas ou un demi-pas suivant la position de départ, il ne s’agit pas ici de réaliser une fente comme cela se fait au siècle suivant à la rapière, Di Grassi ne parle aucunement de cela dans sa partie sur les déplacements. Ensuite, le fait de tourner le pied gauche vers l’arrière aura deux effets : effacer le corps par rapport à l’adversaire, on se retrouve de profil et non de face ce qui offre une surface de frappe moins grande. Le second est de transférer en même temps le poids de corps un peu plus sur l’avant, ce qui va nous faire gagner quelques centimètres d’allonge.

Pour terminer cet estoc, on ajoute finalement un demi-pas du pied gauche qui nous permet de bien marquer l’estoc, ce qui dans notre pratique actuelle va soit faire plier la lame, soit faire reculer l’adversaire, soit demander au joueur de raccourcir son bras en maintenant la pointe sur l’adversaire, ce qui rend la lecture d’un estoc très lisible en situation de sparring.


Maintenant que nous savons comment réaliser l’estoc, il est nécessaire d’étudier ses différentes formes (imbroncade, estoc renversé) ainsi que ses différents cas d’utilisation en attaque comme en défense. L’estoc semble être l’arme absolue en défense des coups de taille et cela sans même venir en opposition. Une étude plus approfondie des différentes parties sur les offenses et défenses dans chacune des gardes est nécessaire ici pour donner un peu plus de contexte à l’utilisation de cet estoc, étude qui pourra faire l’objet de prochains articles.

Annexe

Frapper d'estoc en ligne droite - 800px

Que chaque coup d’estoc frappe circulairement et comment l’on frappe droitement en attaquant d’estoc.

Ayant dit ci-dessus et posé comme un des principes de cet art que la ligne droite est plus rapide que les autres, ce qui est vrai, je n’ai point besoin de démonstration. Ensuite, ayant comme vrai sujet que la frappe d’estoc soit une frappe droite, cela n’est tout simplement pas vrai. Et il me semble raisonnable qu’avant que l’on aille plus en avant de démontrer comment les coups d’estoc frappent circulairement et droitement, ce que je m’efforcerai de faire avec le plus de clarté et de breveté possible. Aussi, je ne m’étendrais pas à parler des coups de taille et comment ils frappent tous circulairement, car cela est abondamment et clairement traité dans le chapitre sur la division du bras et de l’épée.

Venons-en donc à ce dont j’ai l’intention de traiter ici principalement, je parlerai en premier de comment le bras frappe d’estoc circulairement.

Il est une chose claire que je veux dire c’est que tous dessins de forme droite ou longue, quand ils ont une extrémité ferme et immobile et que l’on bouge l’autre extrémité, forment toujours et nécessairement une partie d’un cercle avec ce déplacement. Le bras ayant cette forme avec sa partie fixe et immobile dans l’épaule, il n’y a aucun doute ici que quand l’on bouge seulement avec la partie du dessous que l’on forme un cercle ou une partie de celui-ci. Cela chacun peut le reconnaitre en bougeant son propre bras.

Si cela est nécessairement vrai, il sera aussi vrai que toutes choses qui seront attachées à ce même bras se déplaceront du même mouvement circulaire que celui de ce bras. Et cela est mon premier propos.

J’en viens donc au second où je montrerai les raisons par lesquelles en frappant de pointe l’on frappe droitement. Je dis que chaque fois que l’épée sera déplacée du seul mouvement du bras, elle formera toujours et nécessairement un cercle pour les raisons déjà dites. Mais s’il advient, comme presque toujours que le bras en se déplaçant trace un cercle vers le haut et que la main se déplaçant au poignet forme une partie d’un cercle vers le bas, alors il arrivera que cette épée se déplace dans deux sens contraires vers l’avant et qu’elle puisse frapper droitement.

Et pour que cela soit plus clairement compris, j’ai dessiné la présente figure pour la compréhension et la connaissance de comment le bras se déplace en portant avec lui l’épée, et qu’à l’occasion de ce même mouvement de poussé, l’on forme un cercle vers le haut et que la main se déplaçant au poignet peut lever et abaisser la pointe. Donc, si cette main abaisse la pointe de l’épée d’autant que le bras lève la main, il adviendra que l’épée aille à frapper d’une pointe droite, ce que l’on désire.

Il existe donc le cercle AB qui est réalisé par le mouvement du bras. Si ce bras porte dans son mouvement l’épée et veut aller frapper droitement au point D, il ira nécessairement de par son mouvement frapper le point B. Et de cela nait la difficulté de frapper avec justesse d’estoc. Si donc on veut que ce même bras frappe droitement au point D, il sera nécessaire que le poignet de la main se bouge circulairement vers le bas et forme le cercle AC d’autant que le bras élève la main. Ainsi en tirant avec la pointe de l’épée vers le bas, on la fait par nécessité aller frapper au point D, ce qui n’adviendrait pas avec le seul mouvement du bras qui se déplace sur le centre C.

Si l’on veut pousser un estoc de l’épée, il est donc de mon avis manifeste que cette frappe ne soit pas simplement réalisée d’un seul mouvement droit, mais qu’elle est de la vertu de deux mouvements circulaires, du bras et la main. Et je nommerai cela dans toute l’œuvre frapper de ligne droite ce qui pour les raisons dites n’est point inconvenable.

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